Mon jardin d’aujourd’hui est également à Montreuil-sous-bois. Il se découpe en trois parties inégales. La plus grande partie composée d’une petite prairie, dans laquelle au printemps poussent des pâquerettes et des violettes, jaunit aux beaux jours. Nous y installons des transats et une piscine en plastique pour notre fille.
J’ai creusé dans cette partie trois potagers : un potager de fraises, en L, nous nous y sommes alités tour à tour comme des gisants de la cathédrale de Saint-Denis quand nous le creusions. Un potager quasi carré dans lequel poussent toute l’année de la vigne et de la rhubarbe, à ses côtés trône un énorme laurier vert, d’au moins deux mètres cinquante de haut, que nous projetons de tailler en tête de chat. Au printemps, je plante dans ce potager, des courgettes, des haricots et d’autres graines selon mes réserves et mes envies. Le troisième potager jouxte la terrasse. J’y plante les tomates et les poivrons. Je n’ai jamais réussi à obtenir des poivrons, dont la floraison est longue et la maturation des légumes tout aussi longue. Les tomates donnent allègrement tout au long de l’été. Et c’est un plaisir de passer des salades de tomates vinaigrette aux tomates farcies ou aux tartes à la moutarde et à la tomate parsemée de thym ou de basilic.
Tout au fond du jardin, un rosier magnifique orne le mur de pompons roses Pierre de Ronsard par centaines, de mai à octobre. Mais un ami m’a dit qu’il ne s’agissait pas, en réalité, de cette variété. Mais comme j’aime à penser qu’il s’agit de Pierre de Ronsard, écrivain-poète laïque, « Mignonne, allons voir si la rose.. », dont un joli manoir en tuffeau, dresse à Couture, dans le Loir-et-Cher, avec sur le frontispice de sa demeure des sentences grecques sculptées et comme je suis moi-même un peu poète et complètement écrivaine, j’ai donc décidé qu’il s’agissait de roses Pierre de Ronsard.
Au bout de la prairie, quand je dis prairie, j’exagère un brin, il s’agirait davantage de pelouse fleurie, mais là encore, j’aime l’idée qu’une prairie tapisse mon jardin, une dalle d’une maison détruite, paraît-il par des gens du voyage, en représailles aux anciens propriétaires à qui nous avons acheté notre maison -nous ne connaissons pas les tenants et les aboutissants de cette sombre histoire- toujours est-il que cette dalle est devenue notre terrasse, sur laquelle j’ai installé de beaux pots en terre cuite de bonnes dimensions, dans lesquelles poussent des herbes aromatiques et un mimosa. Je me tâte à peindre le sol de ciment de la dalle, à le recouvrir d’une tache de peinture étalée. J’ai connu un artiste plasticien dont c’était la spécialité, il faisait des taches de peinture sur les parquets des gens. Je me dis qu’il pourrait en faire une sur ma terrasse, que ça lui donnerait du cachet, du caractère et de l’égaiement. Une grande table en bois sur laquelle on peut tenir à douze reste toute l’année dehors. L’hiver, nous rentrons les chaises dans un vide-sanitaire qui donne sur le jardin tandis que nous laissons à tous les vents de vieilles chaises en plastique qui ont été blanches un jour. L’été, nous couvrons la table d’une tonnelle grise. J’ai peint la table, dont le bois à beaucoup souffert des intempéries, d’un beau gris poivre. Un hortensia bleu est posé en son centre. Et parfois, une nappe de toile cirée à carreaux rouges et blancs la recouvre.
En face de cette terrasse, dans un renfoncement, un grand barbecue en pierre nous sert dès les beaux jours à griller des viandes ou des poissons. Le long du mur mitoyen à mes voisins, qui ont construit leur maison eux-mêmes pendant plusieurs années, j’ai planté un laurier rose, que des amis du quartier nous ont offert. Il est mal en point et je ne sais pas s’il va survivre. Une pivoine, dont je n’ai pas encore vu les fleurs. Une daphné odoriférante, aux fleurs immaculées en hiver et au parfum subtile et fort. Un rhododendron. Des lavandes de différentes variétés. Et tout au bout, de la bruyère colorée en bleu, en rose et en vert. Mon chéri désire planter une sauge alimentaire entre le rosier Pierre de Ronsard et la bruyère. Je n’ai rien contre. Cette sauge vient de la maison de campagne de mes beaux-parents en Bourgogne. Je ne sais pas si elle se plaira à l’ombre du mur, dans un coin rarement ensoleillé. Un arbre mort, un saule pleureur nain git au sol tout tortueux, après que je l’aie déraciné quand j’ai vu qu’il ne poussait plus de feuilles depuis deux printemps et qu’il semblait figé, avec des bourgeons jamais éclos. Avec mon chéri, nous avons décidé de le garder et de le verticaliser devant une lumière électrique du jardin pour créer des effets d’ombres sur le mur lorsque la lumière sera allumée le soir en été. Peut-être que j’y adjoindrai des boules de Noël. Entre toutes ses plantes et cette création de land-art, nous allons placer des bris de marbre de Carrare, très blanc, aux veines diaphanes, qui attirera la lumière et la reflètera.
Sur la terrasse, un landau en plastique bleu, avec sa capote, est rempli de terre dans laquelle pousse des plantes, coquelicots, pensée et une autre plante qui semble ne jamais vouloir s’arrêter de grandir, peut-être jusqu’à toucher le ciel, aux feuilles verts tendres, mais qui ne fleurit pas et dont je ne me souviens plus du nom. Ce serait comme une plante qui sortirait d’un ventre. Tous ces détournements d’objets ou de végétaux font de notre jardin un sanctuaire muséal. De plus, cette année, j’ai laissé pousser des roses trémières qui se sont fichées aux quatre coins du jardin, selon les vents porteurs, même dans le grand potager et qui dressent énormes et gigantesques, donnant au jardin une allure de maison de poupée ou de géants chez des lilliputiens, qui créent des contrastes d’avec les autres plantes aux proportions standards auxquelles nos yeux se sont habitués. Dans un cabanon, sont entreposés des outils de jardin et de barbecue, les réserves de graines, des pots en terre et en plastique, les coussins des chaises, la tondeuse et des tas d’autres ustensiles.
Au-delà de la haie d’hibiscus, soutenues par un muret qui délimite latéralement la terrasse et une autre partie du jardin dans un coin obscur, sous le magnolia, j’ai installé des palettes et des coussins bleus, avec une petite table en plastique noire, je m’y installe parfois pour lire ou pour écrire ou encore pour corriger des épreuves ou des copies, voire même pour boire l’apéritif. Dans le magnolia d’une tête plus haute, une glycine fait des lianes et fleurit au printemps depuis qu’elle est passée par moi, un jour que je travaillais à cet endroit et, gênée par les odeurs des pots d’échappement, j’ai dû poser mes deux pieds à terre. Ce fut alors comme une propulsion, comme si j’étais soudain l’arbre, soudain végétalisée et qu’un partie de ma force vitale ait permis à la glycine de refleurir. C’est bien sûr une expérience irrationnelle et probablement délirante, mais les faits sont là, depuis la glycine fleurit… Un chat du quartier, un vieux caïd, se prélasse la nuit sur les coussins bleus de la banquettes de palettes et s’échappe au matin quand je sors dans mon jardin. Dans cette partie du jardin, comme un jardin clos bordé des hibiscus, comme un geyser ou une gerbe, des herbes de la pampa balayent l’air et font nez-nez au magnolia. Des jonquilles et des jacinthes fleurissent aux premiers rayons du soleil. Un olivier qui donnait des olives, jusqu’à ce que je le taille, verdit d’argent l’endroit et tout autour, des rosiers grimpants se courbent majestueux dans l’allée sur des arceaux de fer. A l’ombre d’un cyprès entouré de grosses pierres, sous un petit tertre, git mon chat, Ptitjaune, mort à 17 ans dans mes bras, que nous avons enterré à 80 centimètres du sol et glissé dans une taie d’oreillers. Un composteur lui fait quasiment face, à l’ombre des tuyas hauts comme trois hommes, près des poubelles. J’y déverse mes déchets végétaux deux à trois fois par semaine, ramenés d’un petit saut marron de ma cuisine. Je recouvre chaque saut jeté de petits copeaux de bois qui viennent de la taille des arbres et arbustes de saisons précédentes. J’y récolte difficile un compost mûr, mai je ne désespère pas d’engranger un vrai bon compost au bout d’un moment. Du premier tuyas, à l’entrée principale de la propriété, un seringa s’est tressé dans le tuyas, ses fleurs blanches et délicates dépassent la verdeur du tuyas comme dans un concours qui n’en finirait pas pour atteindre le ciel. Quelquefois, il fleurit à ma hauteur et je respire son parfum capiteux dès que j’entre ou sors par la porte principale. Malheureusement, le seringa ne tient pas en bouquet et se fane tout de suite. Un jasmin fleurit près de la porte d’entrée. Et sous la fenêtre à capter de la porte d’entrée également abritée par une marquise de ciment moche et grossière soutenue de deux gros piliers, un banc que nous avons acheté quand nous visions à Lisbonne, s’appuie contre le mur recouvert lui aussi du même gris poivre que la table. Une table de bar permet d’y poser une tasse à café ou une plante en pot.
Après les poubelles, il faut longer un mur mitoyen à nos voisins chinois, dans un petit couloir dallé le long de la maison puis on arrive dans le jardin joyeuse, comme je l’appelle. Des plantes grasses dans des pots telles des statues ornent l’entrée arrière de la maison abritée d’une marquise en ciment plutôt laide et grossière. Des vélos contre un banc gris, une table octogonale branlante, bientôt peinte en gris comme sa voisine du jardin printemps, avec un bougainvillier en son centre en été, un puits dans lequel stagne de l’eau à l’automne et en hiver, une fontaine de jardin murale sculptée d’un oiseau puis un grand rectangle d’abord fait de plantes sauvages. Depuis, j’y ai planté une pivoine, qui là encore tarde à fleurir, mais il paraît que c’est long, qu’il faut savoir être patient. Toutefois, je m’interroge à savoir pourquoi certaines plantes qui devraient fleurir dans mon jardin ne fleurissent pas, ce serait comme si elles refusaient de fleurir, comme si elles en étaient empêchées par l’esprit des lieux ou par autre chose. Tout le pourtour de ce rectangle herbacé est planté de baies : framboisiers, cassissier, myrtillier, groseillier à maquereaux -c’est le premier arbuste que j’ai planté après la migration des framboisiers qui venaient de notre ancien jardin-, de la vigne, une hot lips qui prend des proportions importantes et dont on se parfume les doigts en les frottant à ses feuilles. Un lilas double, magnifique et très odorant fleurit dès le début du printemps. Deux cerisiers se meurent, dont un que j’ai essayé de sauver en l’enduisant de chaux vive, mais je ne sais pas si c’était une très bonne idée. Des rosiers oranges. Un figuier qui nous a donné quelques belles petites figues l’an dernier. Un noisetier accroché au puits, très vieux, envahi parfois par une colonie de fourmis charbonnières, avec à ses côtés un banc que nous avons acheté quand nous visions à Noisy-le-Grand, également recouvert de gris. Le gris a recouvert le jardin ces temps derniers. Gris chic, gris de deuil, celui du décès de ma sœur, il y a maintenant presque un an.
Presqu’au centre du rectangle herbacé, où pousse également de la mélisse et d’autres plantes médicinales, une fosse a été comblée de sable. Une fosse qui accueillait le fuel en d’autres temps. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours pensé, depuis le tout début de notre arrivée, que des cadavres humains gisaient ou gisent dans cette fausse. J’ai vécu plusieurs expériences mystiques dans ce rectangle ou hallucinatoires, qui semble, là encore une fois, comme sanctuarisé. Tout au bout, un mur s’effrite et clos la propriété. J’ai repeint la grille en bleu et rouge, des couleurs pétantes, modernes voire agressives. Voilà donc mon jardin extraordinaire. Nous avons pensé y installer quelques statues grecques, notamment Flore, Zéphyre et l’amour que nous avons découvert au Château de Versailles et qui nous a enchantée. Mais nous trouverions cela un peu ridicule, il aurait fallu avoir les originaux ou faire fabriquer des copies grandeur nature. Des reproductions miniatures ou naines me déplaisent. D’autres œuvres d’art et de land art, d’autres époques viendront égayer notre jardin. D’autres arbres aussi. Nous allons couper le cerisier mort et planter à sa suite un nouvel arbre quand la terre se sera reposée et que les esprits du cerisier s’en seront allés. On hésite entre un néflier du Japon, un pêcher ou un poirier voire même un abricotier.