Il y avait eu tellement de signes désastreux…

Je n’y croyais plus. Il y avait eu tellement de signes désastreux ces derniers temps que je n’avais aucune raison d’espérer. C’est lui qui m’a donné rendez-vous. Il m’a appelée, une après-midi, tandis que j’étais seule chez moi, dans mon bureau à travailler, comme toujours et il m’a dit, si tu veux, on peut se voir.

– Pour quelles raisons veux-tu me voir, lui ai-je demandé ?

J’avais la gorge serrée. J’étais tellement contente qu’il m’appelle et qu’il veuille me voir, qu’il veuille enfin quelque chose de moi. Je n’espérais tellement plus. Il refusait systématiquement tout ce que je lui proposais. Entre nous le massif, le lait, l’orange, les mots, le regard, au moins tout ça nous liait. C’était beaucoup. Je n’étais pas habituée à autant de dons d’un coup et en si peu de temps. Etait-ce lui qui me donnait ? Etait-ce la vie qui nous donnait ? Etait-ce illusion comme souvent ? Etait-ce la puissance de mon désir qui construisait tout ça ? Etaient-ce des archétypes, qui, finalement, nous parvenaient enfin, me parvenaient ? Ma vie sentimentale allait de fiasco en fiasco. J’étais raisonnable, je travaillais, quant à ce que mon coeur se mette à battre et que j’envisage quelque chose d’autre que la rationalité et le boulot, j’en avais fait mon deuil depuis un moment. Il m’a dit, Tu es libre maintenant ? J’avais certainement des tas de choses à faire comme toujours, mais je n’ai pas hésité une minute et je lui ai dit, Oui. Où veux-tu que nous nous voyons ? Il m’a donné rendez-vous dans un bar, non loin. J’ai enfilé mon blouson de King en fausse fourrure bleue à doublure en satin orange et le chapeau qui va avec, une écharpe rouge serpentine qui avait appartenu à ma mère que j’ai enroulé autour de mon cou. J’ai enfilé mes bottines en cuir marron à lacets et d’un pas preste, dans mon jean au style chaloupé, qui dans les virages plaçaient les poils de mon blouson dans un sens et mes hanches dans l’autre, j’ai sillonné les rues jusqu’au point de rendez-vous.

Il était déjà là. Assis à une table ronde. Il tripatouillait son téléphone portable. Il a levé les yeux dès que je suis entrée dans le bar. Il ne souriait pas. Je ne souriais pas. J’aurais voulu sourire. J’aurais voulu être gracieuse, charmeuse, comme ce qui nous était arrivé comme ça, sans que je ne m’y attende, sans que je ne le vois venir, mais l’attente avait été trop longue et je n’avais plus envie de charme, ou alors un charme qui me serait réservé, qui ne ferait pas le tour du monde, qui ne serait pas interchangeable. Un charme qui ne concernerait que lui et moi. Sans dire que mon désir serait d’être directe. Je n’aime pas ce qui est trop direct, je me sens heurtée. J’aime ce qui prend des détours, tout en étant efficace. J’étais arrivée à un âge où perdre du temps m’épuisait. Où l’écoeurement des espoirs déçus me réduisait au statut d’objet et aux archaïsmes dans mes relations avec les autres et en particulier avec les hommes que je désirais et qui faisaient battre mon coeur.

– Eteignons nos téléphones, fut la première phrase que je lui dis. Bien avant de lui demander comment il allait ou les motifs de notre rencontre.

Il n’a pas cherché à me contredire. D’un commun accord et d’un regard uni, nous avons éteint nos téléphones portables qui ont git sur la table comme des cadavres abandonnés.

Il buvait un café. J’en ai commandé un alors que ce n’était pas du tout l’heure du café en ce qui me concernait. Le bruit de la soucoupe dans laquelle la tasse a chaviré en se posant sur la table a fracturé le silence puis le silence est revenu.

Notre dernière conversation et nos derniers échanges écrits et la rudesse, voire la méchanceté de ses propos à mon égard ne m’avaient pas laissé d’équivoque. Il avait quelqu’un d’autre dans sa vie avec qui il construisait une relation, il n’avait pas l’intention d’être infidèle. Il semblait, comme beaucoup d’hommes, se sastisfaire de savoir qu’il suscitait le désir voire l’amour. J’avais essayé de ne pas l’entendre de cette oreille, de lui faire comprendre que ce qui nous arrivait n’était pas tout à fait du domaine commun, mais je ne voulais pas le forcer, je n’ai jamais voulu forcer quiconque, ce n’est pas mon genre. On ne force pas les sentiments, ce n’est pas possible, au mieux peut-on amadouer au fil du temps jusqu’à ce que la personne désirée tombe amoureuse. Les sentiments ne s’achètent pas. L’émotion se sucite. L’amour se construit. Donc, j’ai laissé tomber mes ambitions à son égard et je me suis concentrée sur ma vie, avec les miens, ma petite famille, mon chéri et ma petite fille. J’ai eu de plus en plus de doutes sur ces intentions. Je n’ai pas tout à fait compris ce qui est arrivé. J’ai toujours eu l’esprit libre et je ne suis plus du genre à dépendre, je le regrette d’ailleurs à certains égards, je m’auto-suffis bien souvent et je prends beaucoup de plaisir à concevoir et transmettre mon travail et à rencontrer les autres et à m’y intéresser.

– Qu’est-ce que tu me veux, ai-je continué ?

– Je voudrais engager un accompagnement sur un livre que je veux écrire, m’a-il dit.

J’étais déçue une nouvelle fois. Je croyais qu’il voulait me voir pour moi, pour ma personne, pour ce que je ressentais. Et encore une fois, il ne voyait en moi que la professionnelle…

Je ne cachais pas ma déception.

– Je m’occupe déjà de quelqu’un, il faudra que tu attendes, je ne peux pas accompagner plusieurs personne en même temps.

– C’est que, je vais quitter la France dans pas très longtemps et je voudrais emporter ce livre avec moi.

Je lui posais quelques questions sur son projet et ses intentions. Le projet m’intéressait indéniablement. Etre en sa présence de manière régulière et répétée pendant plusieurs mois ne me laissait pas indifférente. Découvrir là où il habitait, m’y rendre toutes les quinze jours-trois semaines, être dans une intimité rapprochée, le façonner selon mes compétences et mes connaissances. En savoir plus sur lui, tout ça me passionnait d’avance, mais comme je venais de le lui dire, c’était difficile, dans mon cas, de me démultiplier et d’accompagner plusieurs livres. Toutefois, comme je sentais mon coeur repartir, je décidais de prendre ce risque-là et j’acceptais sa proposition.

Il devrait payer rubis sur l’ongle, sans discuter ou louvoyer. Ce serait 50 % à la signature et 50 % à la fin du travail. Il devrait respecter le calendrier et s’y tenir. Il devrait lire les livres que je lui conseillerai. Et il devrait écrire entre nos rencontres à partir de ce que je lui proposerait. Il accepta mes conditions.

Il sembla très content et me tendit sa main droite, en disant « Marché conclu ». D’une poignée de main sans tremblement, je lui tendis la mienne.

Il me dit alors : Tu veux qu’on déjeune ? C’est bientôt l’heure du déjeuner.

– Si tu veux.

Ce fut notre premier repas. Où nous badinâmes comme de vieux amis. Tout était fluide et naturel. Je riais. Il riait. Il ne pouvait pas s’empêcher de me charmer. De temps en temps, comme ça, il caressait ma main gauche, je ne le laissais plus l’emprisonner. Il avait la droite, c’est ce qu’il voulait, s’il voulait la gauche, il lui faudrait beaucoup travailler à me séduire et à m’émouvoir. J’étais bon public et demandeuse, mais le travail est le travail, on ne peut pas tout mélanger trop longtemps.

Il s’ensuivit de nombreux repas, chez lui, en tête-à-tête. Il me faisait à manger à chacune de nos rencontres. J’appéciais cette attention. Il me faisait des choses simples et toujours très bonnes.

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